jeudi 21 juillet 2011

Cahier d'été n°1(bis), les « rencontres de Pétrarque »

Chers élèves,

Profitons de l'actualité dans la vie des idées pour donner du sens à votre travail personnel. Cette semaine se déroulent à Montpellier les « rencontres de Pétrarque » pour la 26ème édition (voir : http://www.franceculture.com/2011-07-18-autour-des-rencontres-de-petrarque-2011-du-bon-et-du-mauvais-populisme.html ). Cette manifestation intellectuelle est une rencontre intéressante qui a le mérite de donner une certaine visibilité aux débats d'idées indispensables à la vitalité de nos sociétés démocratiques. Mais à la lecture de ces quelques mots d'introduction, on ne peut que se dire que soit c'est une information sympathique et on ira l'année prochaine à Montpellier, soit on écoute une partie des conférences-débats sur France Culture, ou enfin on s'en fiche... Et bien « ni-ni »..., nous voudrions aujourd'hui faire le lien entre le thème de ces 26ème « rencontres de Pétrarque », le « Peuple », l'article précédent de notre modeste blog et le fait de donner du sens à votre travail personnel (bis repetita). Donner du sens, non pour rendre votre entraînement serf, mais pour vous permettre de comprendre le pourquoi d'un investissement aussi conséquent en lectureS, en culture, etc. pour préparer le concours d'entrée en IEP, par ex.

En effet, pourquoi connaître un minimum la pensée des philosophes majeurs de l'Histoire occidentale comme il vous est demandé dans le précédent article de ce blog? Pourquoi potasser l'Histoire du XXème siècle? Pour répondre simplement à ces questions, prenez acte du fait que notre Histoire est traversée par quelques forces profondes à la fois simples et compliquées. Ces forces sont:

*le rapport des hommes au(x) pouvoir(s) et à l'argent = Qui détient le pouvoir? Pourquoi? Pour qui? Au nom de quelle légitimité? Avec quel moyen? Etc.

*à cela il faut ajouter une certaine inquiétude existentielle propre à l'Homme, soit liée aux croyances, aux religions, soit carrément illustrée par la Peur = Celui ou ceux qui ont le pouvoir peut(vent)-il(s) le perdre? Pacifiquement ou violemment? Le pouvoir est-il source d'enrichissement ou peut-il accaparer la richesse des nantis, voire inversement le pouvoir protège-t-il les richesses des riches au détriment du peuple, pour faire référence à la France à la veille de la Révolution? Etc.

On peut lier ces forces et ces questions de façon nodale, pour s'inspirer de la « méthode Soljenitsyne »: « Le peuple peut-il exercer le pouvoir de manière raisonnable? » 1. Il ne faut pas en oublier les fractures sociales! L'argent n'est pas qu'un moyen du politique, il est aussi la source de la division entre riches et pauvres, l'enjeu de la répartition, suffisante ou non, des richesses. Le clivage droite/gauche y plonge ses racines, bien avant la Révolution française, génitrice dudit clivage.

Partir de ce schéma de pensée doit conduire vos révisions, vos études, car c'est que l'on attend d'un étudiant de Sces Po par exemple, mais surtout et logiquement d'un citoyen (en théorie): en effet, nous soulevons ensemble l'essence même non seulement de notre histoire à nous tous sur Terre, mais aussi notre quotidien à tout un chacun: Est-ce que j'accepte qu'on me représente au pouvoir? Si oui, par qui? Si non, que faire et par quel moyen? (cette dernière question peut nous pousser loin, si on pense au terrorisme comme « acte » politique... Vaste débat...mais quel débat excitant!!!)

Si malgré nos efforts de pédagogie, vous êtes perdus, prenons quelques exemples:

A quoi « sert » la pensée de Platon? « La philosophie politique de Platon considère que la Cité juste doit être construite selon le modèle du Bien en soi »2. Pour atteindre ce but, Platon, contemporain de la démocratie athénienne au Vème siècle avant notre ère, estime que le pouvoir doit être remis et conduit par les « meilleurs » (= des « aristocrates »), c'est-à-dire par des « philosophes-rois », car Platon réfute l'idée d'une compétence politique universelle (= tous les hommes ne sont pas égaux pour gouverner). Néanmoins, conscient du caractère irréalisable de son idéal, (le) Platon (des Lois 3) réhabilite une certaine démocratie comme le moins mauvais des régimes imparfaits.

Pour Aristote, le meilleur régime politique, la Politeia, gouvernement dans l'intérêt de tous, mélange démocratie et oligarchie, reposant sur l'action de la classe moyenne qui « sauve la cité et maintient les institutions », en arbitrant et ménageant la minorité 4.

Pour Hobbes, « une multitude d'hommes devient une seule personne quand ces hommes sont représentés par un seul homme ou une seule personne, de telle sorte que cela se fasse avec le consentement de chaque individu singulier de cette multitude ». L'État « modèle les volontés de tous », en bénéficiant d'un transfert de l'ensemble des droits à se gouverner 5.

Montesquieu considérait que « le grand avantage des représentants (politiques = les hommes politiques, donc!), c'est qu'ils sont capables de discuter des affaires. Le peuple n'y est point du tout propre »6.

Rousseau, pour qui « la volonté générale ne se représente point », dénonce l'aliénation constitutive de la représentation (politique) qu'il compare à l'esclavage 7.

Pour Marx, la représentation (politique) masque la domination économique de la bourgeoisie, sous couvert d'un intérêt général qui, en réalité, n'est que l'intérêt égoïste des possédants qui se sont emparés de l'État 8.

Bref, ceci n'est qu'une très, très brève introduction aux débats d'idées, il vous faut approfondir encore et encore ce travail, lire, annoter, résumer, apprendre, « parfois » par cœur, mais surtout N'OUBLIEZ JAMAIS CET IMPÉRATIF, IL VOUS FAUT COMPRENDRE CE QUE VOUS ÉTUDIEZ!

En tous cas, au beau milieu de vos vacances estivales, nous espérons que cela donne du sens à votre préparation au(x) concours, quitte à nous répéter.

Bon courage et bon bronzage.

A. Cuvelier, pour l'équipe d'initiation aux Sces Po. du lycée St Rémi, Roubaix.

  1. Pour cette dernière question, nous nous appuyons sur la très bonne synthèse: F. Lambert & S. Lefranc, 50 fiches pour comprendre la science politique, Paris, Bréal, 2007, notamment les fiches 10 à 17.

  2. Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Platon

  3. Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Lois

  4. à 8): Lambert & Lefranc, op.cit. Ce qui vous prouve à quel point ce manuel est très pratique à utiliser (nous disons « utiliser » car nous vous rappelons que notre but est de vous aider à surnager dans la multitude des flots bibliographiques, et non de faire de la pub!)


En annexe, nous voudrions vous inviter à retrouver « Les Idées claires » par Julie Clarini, Le site de l'émission. Source : http://www.franceculture.com/emission-les-idees-claires-la-crise-grecque-et-l-europe-2011-07-05.html

La crise grecque et l'Europe 3

05.07.2011 - 07:35

Il y a un an la chancelière Angela Merkel l'avait formulé ainsi : « il s'agit, en un sens, d'une lutte entre la politique et les marchés ». C'était bien dit, même si aujourd'hui, nous explique l'économiste Nicolas Véron, ce n'est pas tant la cupidité qui explique la crise qui menace l'Europe entière que la peur, la peur des investisseurs obligataires qui ne veulent plus des dettes grecques et portugaises. Mais il s'agit bien d'une lutte, et là Angela Merkel a raison. C'est pourquoi, j’avoue, les bras m’en sont tombés quand j'ai lu la « reddition » de Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe ; dans une interview au magazine allemand Focus, il a tout bonnement déclaré que la souveraineté de la Grèce serait « énormément restreinte » dans les mois qui viennent. « Par exemple, a-t-il expliqué, pour faire face à la prochaine vague de privatisations, il leur faudra adopter un système se fondant sur le modèle de la Treuhand allemande". Et en effet le Parlement grec a dû voter la création d'une agence de privatisation qui sera pilotée par…des experts européens ! Comme en Allemagne de l'Est après la Chute du Mur, où cet organisme, modèle aux yeux de JC Juncker, avait supervisé la privatisation de 14 000 firmes en mettant presque les deux tiers de leurs salariés au chômage.

Souveraineté énormément restreinte...Une lutte entre la politique et les marchés.

Ce mois-ci, le magazine britannique Prospect titre Will Greece destroy Europe ? Est-ce que la Grèce va détruire l'Europe ? Mais, sans vouloir être alarmiste, plus préoccupant que la destruction de l'Union elle-même, n'est-ce pas son idéal, la démocratie, que cette crise est en train de mettre en péril ? Comment ne pas s'inquiéter d'entendre un homme aussi éminent que M. Juncker parler sans frémir d'une restriction de la souveraineté ? Le rêve des experts, l'inconscient technocrate s'exprimant sans frein...débarrassez-nous du peuple et nous trouverons la solution ! Quelle bouffée d'air que de mettre en parallèle la réflexion du célèbre économiste indien Amartya Sen publiée par Le Monde ce week-end. Il y exprimait, lui, toute sa peine de voir l'Europe oublier son histoire et sa tradition, celle de la quête démocratique inaugurée par le siècle des Lumières. Et de nous mettre en garde, solennellement, contre le danger qui menace aujourd'hui le régime démocratique en Europe, oui, la mise en péril du régime démocratique ni plus, ni moins. Par qui ? Eh bien, par les gardiens de la finance. Qu'ils s'expriment, certes, dit-il, mais certainement pas qu'on leur obéisse au doigt et à l'oeil. Ils n'ont pas à dicter leur loi aux gouvernements librement élus. « Le diagnostic des problèmes économiques tel que l'établissent les agences de notation n'a en rien le statut de vérité absolue, contrairement à ce que ces dernières prétendent ». Et Amartya Sen nous rappelle que le travail de certification des établissements financiers et des entreprises accomplis par ces agences avant la crise économique de 2008 était si lamentable que le Congrès américain avait envisagé d'engager des poursuites contre elles. Pour les contrer, il faudrait un pouvoir exécutif au niveau européen qui pour l'instant... n'existe pas. Toujours la lutte de la politique et les marchés. Il faut prendre garde à ne pas abdiquer l'idéal démocratique d'une Europe unie. Ne pas la sacrifier sur l'autel d'une politique d'austérité dont on ne sait si elle ne va pas empirer la situation. Et son vrai regret, à Amartya Sen est bien celui-là : que l'intégration économique ait pris le pas sur toutes autres considérations politiques. « La formidable idée d'une Europe unie et démocratique a changé au fil du temps et l'on a fait passer au second plan la politique démocratique pour promouvoir une fidélité absolue à un programme d'intégration financière incohérente »

Comme l'écrit Nicolas Véron, la crise a d'abord été financière au niveau de quelques banques, puis budgétaire au niveau de certains Etats. Elle est de plus en plus institutionnelle, au niveau de l'Union toute entière. On se permettra de rajouter qu'elle est aujourd'hui existentielle : pourquoi souhaitons-nous une Europe unie ?

http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/07/03/pour-juncker-la-grece-devra-se-resoudre-a-perdre-une-grande-partie-de-sa-souverainete_1544220_3234.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/02/l-euro-fait-tomber-l-europe_1543995_3232.html#ens_id=1508090