mardi 26 avril 2011

Définition de la frontière et « Ouvrir ou contrôler les frontières » de Wihtol de Wenden






Définition de la frontière et « Ouvrir ou contrôler les frontières » de Wihtol de Wenden

Chers élèves,
Pour parfaire la qualité de votre approche du thème du concours commun, les « Frontières », n'oubliez pas qu'outre éviter l'écueil de trop de lectures (?) qui se traduit par un manque dangereux d'entraînementS écritS(!), il faut poser des bases solides dans votre travail, comme une définition précise et rigoureuse de thème en question, ici la frontière. Ainsi, des outils s'avèrent particulièrement nécessaires à cet exercice, tels les dictionnaires spécialisés, comme le Dictionnaire de géographie, de Pascal Baud, Serge Bourgeat & Catherine Bras, paru chez l'éditeur Hatier en 2003.
Nous vous proposons ici un résumé plus ou moins succinct de l'article « Frontière » du dictionnaire en question (pp. 148 à 157 pour la présente édition).
A. Cuvelier, pour l'équipe Sces Po


Frontière:
Introduction:
« La frontière est une limite séparant deux zones, deux États, c'est-à-dire une ligne de séparation très nette et souvent matérialisée dans l'espace (dans ce cas par des postes frontières, voire des barbelés entre les États). La frontière représente une rupture souvent franche entre deux modes d'organisation de l'espace, entre des réseaux de communication, entre des sociétés souvent différentes et parfois antagonistes.

I) Les différents types de frontières et leurs fondements

A) Frontières internationales et frontières intérieures
Une frontière est avant tout une limite entre deux États, qu'elle soit maritime (limite des 200 milles nautiques), ou terrestre (CF= postes frontières, douanes...). Son tracé peut être reconnu par la communauté internationale ou résulter d'un état de fait territorial (Ex.: les territoires occupés en Israël). Plus complexe, le tracé de la frontière n'est reconnu que par une partie de la communauté internationale (Ex.: Oder-Neisse). Ces différents type de frontières conditionnent les relations entre pays limitrophes.
Mais le terme de frontière peut aussi s'étendre à des divisions intra-étatiques, à des découpages administratifs, comme entre les États des États-Unis. Un découpage administratif n'est une frontière que s'il y a une rupture entre deux espaces. Une frontière intérieure peut aussi créer une ségrégation (du latin segregare, mettre à part) ethnique, sociale ou économique.

B) Différents types de frontières internationales
Concept politique par excellence, la frontière est également une césure économique, culturelle et linguistique. D'un point de vue politique, le concept de frontière est inséparable de celui d'État. Tout gouvernement applique une politique plus ou moins stricte de contrôle de ses frontières.
Mais la frontière constitue également une frontière économique, ex.: entre pays développé et pays en voie de développement.
Séparant des communautés nationales, la frontière est souvent une frontière linguistique, culturelle, voire religieuse. Notons toutefois que pour ces critères, la frontière ne représente plus une ligne administrative, mais un espace frontalier parfois très étendu, qui peut même être l'espace d'un véritable syncrétisme.

C) La genèse des frontières internationales
Trois types de frontières se distinguent en fonction de leur formation:
a) La frontière historique, façonnée par un ou plusieurs conflits, reste prédominante en Europe. Elles ont un tracé très souvent sinueux, et ont été reconnues pour beaucoup d'entre elles lors de grandes conférences dirigées par le camp vainqueur comme en 1815, 1918 et 1945.
b) Les frontières issues du partage colonial. Elles ont un tracé rectiligne, ignorant les frontières linguistiques, culturelles et religieuses préexistantes. Elles ont rarement été modifiées après la décolonisation.
c) Les frontières des pays neufs ont également un tracé rectiligne mais correspondant le plus souvent à une réalité différente, celui des fronts pionniers. Ex.: un partie des frontières nord-américaine.
En outre, il faut y ajouter la catégorie des frontières naturelles: la frontière naturelle serait une limite bien nette du relief – montagne, fleuve ou côte -, qui délimiterait « naturellement » le territoire d'une communauté nationale. Néanmoins, d'un État à l'autre, le choix de la frontière naturelle n'est pas le même, on y retrouve donc le choix du politique.

II) L'occupation de l'espace frontalier
L'occupation de l'espace frontalier peut prendre des formes diverses en fonction des intérêts politiques ou économiques des pays concernés.

A) Des espaces souvent marginaux
Souvent, la zone frontalière est un espace à l'écart du développement du pays, une marge ou un confins (zone située à l'extrême limite du territoire et considérée comme « loin de tout »). Ex.: rares sont les capitales situées à proximité des frontières.

B) Le cas des frontières reconnues
Dans le cas d'une frontière reconnue par la communauté internationale, la frontière est soit ouverte, soit fermée, engendrant ainsi des modes d'occupation de l'espace très différents.
Pour la frontière fermée, celle-ci est occupée par les postes de contrôle, constituant pour les nationaux un véritable no man's land (Ex.: la frontière coréenne entre Nord et Sud).
Pour la frontière ouverte, les migrations journalières de populations frontalières sont fréquentes, créant des flux économiques nombreux et obligeant les gouvernements respectifs à prendre des mesures de coordination, ne serait-ce que dans le domaine des transports (Ex.: La frontière franco-suisse), voire de réalisations communes: Ex.: Tunnel sous la Manche, régions transfrontalières Sar-Lor-Lux.
Reste une exception: la constitution de camps de réfugiés, vastes regroupements de personnes fuyant les persécutions. Ils contribuent à modifier sensiblement les caractères de la zone d'accueil, économiquement, socialement, mais aussi parfois politiquement, pouvant être de puissants facteurs de déséquilibres de ces régions, comme les camps palestiniens en 1967 au Sud-Liban, par ex.

C) Les frontières contestées et les fronts pionniers
Le peuplement des marges frontalières est souvent inséparable de l'idée de nationalisme et ses moyens sont souvent la colonisation agricole ou militaire. Certains gouvernements des PED préfèrent remplacer le terme de colonisation par celui de transmigration (Ex.: en Indonésie).
Enfin, l'ouverture d'un front pionnier peut déboucher sur un processus de territorialisation (appropriation d'un espace par un groupe d'homme qui en fait son territoire). Ex.: frontière entre Paraguay et Brésil.

III) Les frontières évoluent
La mobilité des frontières modifie l'occupation de l'espace.

A) Frontières qui s'ouvrent, frontières qui se ferment
Une frontière considérée comme fermée peut, à la faveur d'un bouleversement politique, s'ouvrir plus ou moins brutalement (Ex.: la disparition du rideau de fer). Les modifications qui en résultent sont souvent importantes. Ce peut être un mouvement immédiat de populations fuyant un pays. Dans ce cas, la zone frontalière peut voir son économie se modifier, généralement dans le sens d'une amélioration.
Mais une frontière peut aussi se fermer, le plus souvent en cas de guerre. Les activités transfrontalières cessent alors, engendrant de lourdes conséquences, notamment économiques.

B) Frontières qui naissent, frontières qui disparaissent
Phénomène lié à l'émergence d'un nationalisme, des frontières peuvent naître après un conflit, dans le cadre d'une grande conférence ou, plus rarement, dans la paix (Ex.: séparation en 1993 de la Tchécoslovaquie).
Une guerre civile peu également aboutir à la naissance d'une d'une frontière, alors placée sous haute surveillance (Ex. actuel: le cas du Soudan à partir de 2011). Enfin, de grandes conférences remodèlent les frontières, notamment à l'issue de conflits (Ex.: le démantèlement de l'Autriche-Hongrie en 1918). Mais les conférences internationales peuvent aussi donner naissance à des frontières immédiatement contestées – c'est le cas du partage de la Palestine en 1947 – et donc à des espaces frontaliers fermés, ou sous très forte occupation militaire.
Un mouvement inverse voit la disparition de certaines frontières soit par la fusion de deux États après une guerre (Ex.: Vietnam ou Yémen), ou par une simple atténuation du fait frontalier dans le cadre de grandes organisations régionales comme l'UE, l'ALENA. Les limites entre pays existent toujours mais, comme dans le cas de l'UE, elles ne sont plus des frontières économiques et peuvent permettre l'apparition de grands projets frontaliers. Les régions concernées cessent d'être des marges pour devenir de nouveaux centres (Ex: la région lilloise au coeur d'un espace économique en voie d'unification, allant d'Amsterdam à Londres et Paris).




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Article de Catherine Wihtol de Wenden, « Ouvrir ou contrôler les frontières », in Alternatives internationales, L'état de la mondialisation, H-S n°8, décembre 2010.
Catherine Wihtol de Wenden est spécialiste des migrations, chercheuse au CERI.
(A noter que certains extraits sont retranscrits intégralement, afin de fournir des exemples à reprendre pour le concours, vous les repérerez en caractères gras)

Prise de notes de l'article en question:
Depuis les années 2000, la politique d'immigration européenne hésite entre:
- d'un côté le dogme de l' « immigration zéro » (donc de contrôle des frontières) dans le prolongement des accords de Schengen (1985) (1) qui abolissent les frontières intérieures entre pays signataires mais les renforcent à l'extérieur, des accords de Dublin (1990) (2) qui durcissent la législation sur le droit d'asile, ou encore par les sommets européens de Séville (2002) (3), de Thessalonique (2003) (4) ou La Haye (2004) (5), marqués par une approche sécuritaire et répressive (CF= Frontex (6)). A l'échelle nationale, la France en est une bonne illustration au regard des 6 textes de lois votés depuis 2002 entre renforcement du contrôle des frontières, expulsion des migrants et extension des durées de rétention (CF= loi Besson (7)). Quitte à réduire l'accès au droit d'asile (Ex.: l'évacuation musclée des Afghans à Sangatte en 2009).
- d'un autre côté, enrayer le vieillissement de la population de l'UE, donc le besoin de main d'œuvre, comme l'illustre les accords de Tampere (1999) (8). Ex.: Mise en place d'un livret vert européen, début 2005, pour une politique d'immigration choisie, avec un « équivalent » à la « carte verte » américaine, la « carte bleue ».
Mais cela pose de nombreux problèmes:
- L'approche sécuritaire nuit au brain drain face aux États-Unis, notamment.
- La multiplication des contrôles et les expulsions ont un coût. Ex.: en France, selon la Cour des comptes, les 30000 renvois à la frontière environ de 2008 ont coûté 530ms d'€. Sans parler des atteintes aux droits de l'homme et du retour des expulsés.
L'alternative serait l'ouverture des frontières, utopie pour certains, mais pourtant seul objectif à la fois réaliste et éthique. Un monde sans frontières ne pourrait toutefois fonctionner qu'à la condition que les écarts de développement se réduisent, que les migrants aient confiance dans le fait qu'ils pourront effectivement circuler librement, comme on l'a vu en Europe de l'Est depuis la chute du mur de Berlin, qu'un dialogue franc s'établisse entre pays de départ et d'accueil, en particulier sur le partage des ressources de la planète: énergie, eau, terres...
Comment?
Ex.: Par une ouverture graduelle, avec la création de visas à entrée multiples pour les étudiants, chercheurs, les travailleurs temporaires, etc. Par un renforcement de la coopération économique entre l'UE et ses voisins, afin de faciliter les allers-retours des travailleurs migrants, qui pour partie se fxent à l'étranger par peur de ne pouvoir revenir s'ils repartent dans le pays natal.
En ayant, enfin, une autre vision des flux migratoires: sur la durée, ces flux s'amenuisent quand les pays d'origine se développent. De plus, il est difficile de prévoir certaines mutations. Par ex., si d'un côté, il est possible de craindre un accroissement de la migration de la pauvreté, [d'un autre côté] la baisse de l'immigration en Europe en 2008-2009 ne traduit pas l'efficacité du contrôle de ses frontières mais le rétrécissement de son marché du travail dû à la crise.
La stabilisation de la population mondiale vers 2050 ne manquera pas d'affecter la tendance à l'émigration dans bien des pays du Sud désormais vieillissants
. De plus, les pays émergents attirent eux-aussi les migrants (Brésil, Chine...), on peut donc s'attendre à une migration plus multipolaire qu'aujourd'hui. Et plus mobile: la circulation, au lieu de l'établissement définitif, est une tendance de fond des migrations internationales. Plus les frontières sont ouvertes, plus les migrants circulent, et plus elles sont fermées, plus ils s'installent durablement là où ils n'avaient pas forcément le désir de rester.


3) http://ec.europa.eu/public_opinion/notes/seville_fr.pdf ou http://www.rfi.fr/actufr/articles/030/article_15343.asp
4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_europ%C3%A9en_de_Thessalonique ou http://www.vie-publique.fr/documents-vp/avis_cncdh012004.pdf
5) http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/04/855&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en ou http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-russie/quatre-espaces-communs.shtml
6) http://europa.eu/agencies/community_agencies/frontex/index_fr.htm, http://www.frontex.europa.eu/, dans l'actu: http://www.france24.com/fr/20110214-frontex-italie-immigration-clandestine-mediterrannee-union-europeenne,
7) http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl2400.asp, dans l'actu: http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20100927.OBS0429/les-principales-mesures-de-la-loi-besson-sur-l-immigration.html
8) http://cnfra.ref-union.org/textes_officiels/textes%20uit/doc/UIT%203-0%20(06-10).doc

Conseil de lecture:
Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine, Paris, PUF, 2009.
Antoine Picoud, Paul de Guchteneire (dir.), Migrations sans frontières. Essais sur la libre circulation des personnes, Unesco, 2009.