mercredi 18 janvier 2012

Retour sur le débat de la fin de la Culture G à Sces Po Paris

Chers élèves,

Nous supposons que vous avez suivi les multiples réactions à la suppression de l'épreuve de culture générale à Sces Po Paris. Pour illustrer le débat, nous vous conseillons ce « commentaire »(dans le langage internet) d'un collège, M. Cyril de Pins, professeur agrégé de philosophie en ZEP, à qui nous disons « BRAVO ! » :

Monsieur,
L'un de vos chroniqueurs s'est amusé des réactions de certains journalistes français à l'annonce de la suppression de la culture générale au concours d'entrée à Sciences Po et s'est ensuite permis, dans le confort de son studio de radio, de mettre en doute l'intérêt des humanités gréco-latines pour nos élèves issus de l'immigration, avant de conclure au pédantisme d'une partie de nos élites.
Si pédantisme il y a, il est de son côté.
Nos élèves ont soif de culture, même s'ils résistent souvent face à la difficulté, à la complexité et au niveau d'exigence des grandes oeuvres qu'on leur propose. Il est rare cependant qu'ils ne soient pas emportés par leur force singulière. Rien ne les intéresse plus qu'une citation latine et un mot grec, qu'on aura prononcés en passant. Ils aiment les mots rares en français, les belles phrases un peu archaïques, les anecdotes historiques tirées de Saint-Simon et Mme de Sévigné. Ils se laissent encore impressionner par la grandeur d'une pensée comme celle d'un Kant, d'un Descartes ou d'un Platon, et ne la restituent pas sans trembler.
La plupart d'entre eux ont donc l'attitude qu'avaient nos pères face aux grands Anciens : ils leur inspirent un pieux respect.

Votre chroniqueur ironise sur une exigence dont il ignore visiblement tout puisque son propos trahit du mépris pour les humanités. Par quoi compte-t-il remplacer ces humanités dans l'enseignement ? Par ce que les élèves savent déjà et dont il loue la valeur par préciosité malhonnête (le rap, les tags, le verlan...), et que nos élèves prisent finalement assez peu tant ils en aperçoivent les limites.
L'engagement associatif n'est possible qu'à ceux qui ont le temps : nos élèves (une fois leurs 16 ans révolus) passent plutôt leur temps libre à travailler pour gagner un peu d'argent. Ils ne militent guère, ni ne donnent de leur temps. Le temps n'est pas un luxe dont ils disposent, car ils en usent pour améliorer leur quotidien.
Votre chroniqueur ignore surtout ce que sont les élèves, car il s'en moque. Ces élèves issus de la diversité n'ont pour lui aucun visage, aucun nom, aucune histoire particulière, aucune émotion. Ce sont des abstractions qui lui permettent se sentir très généreux en parlant de ce qu'il tient pour d'absolus victimes (pour qui il ne fait rien), et font une bonne matière pour de petites pirouettes dans une péroraison où il vient nicher son venin, content d'avoir fait naître des sourires complices chez ses collègues de studio, tout aussi éloignés de ces élèves dont ils parlent souvent sans les voir jamais (ou si peu).

France Culture devrait défendre et illustrer la culture au lieu de faire la leçon à des auditeurs dont beaucoup vivent ce que vous leur décrivez généralement très caricaturalement.
Mes élèves furent insultés par cette légèreté ignorante, contente d'elle-même, sûre de son fait et finalement d'une affreuse bêtise. C'est la culture générale qui permet à ce monsieur de mépriser la culture générale : que ne souhaite-t-il au moins cette petite jouissance perverse à d'autres ?
Cyril de Pins, professeur agrégé de philosophie en ZEP.

PS : A l'intention d'Alain-Gérard Slama. Il existe des professeurs de philosophie qui corrigent les fautes d'orthographe et de grammaire, considérant que la pensée est inséparable de l'expression. Une bonne expression est en effet la condition d'une pensée correcte et claire.

Source : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-du-sacre-dans-le-monde-contemporain-2012-01-18

Et toc !

A. Cuvelier, pour l'équipe d'initiation aux Sces Po du lycée St Rémi, Roubaix http://www.saintremi.com/